Bure. Cigéo, une « contestation sur le temps long »

En près de trente ans, l’opposition à l’enfouissement des déchets nucléaires à Bure a pris plusieurs formes. De l’expertise citoyenne à l’occupation du bois Lejuc, analyse avec le chercheur Vincent Carlino.

À Bure, l’installation de l’Andra (Agence nationale de gestion des déchets radioactifs) remonte à 1999,  début de la construction d’un laboratoire souterrain dédié à l’étude de l’enfouissement de déchets nucléaires. Dès l’annonce du choix du site de Bure, l’année précédente par le gouvernement Jospin, l’opposition au projet a développé  une contre-expertise citoyenne. « On peut supposer que cette forme de militantisme soit le résultat de la production de rapports scientifiques […] par l’Andra pour montrer la sécurité et les avantages du projet Cigéo », note Vincent Carlino, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’UCO et spécialiste des controverses environnementales.

La concertation sur Bure, « un “fiasco” »

Vincent Carlino explique que « les premiers opposants s’investissent dans un travail d’enquête et de contre-expertise citoyenne entre 1996 et 2013, tandis que ceux qui luttent contre le projet à partir de 2014 se situent dans une critique plus radicale ». Le point de bascule dans l’opposition date donc de 2013. Cette année-là, un débat public est mené  sur l’enfouissement de déchets nucléaires à Bure. Les opposants, qui contestent les modalités des réunions organisées par la Commission nationale du débat public, décident de les boycotter. C’est notamment le cas de celle organisée à Bure le 23 janvier 2013. « Les participants, autant que les observateurs, critiquent le débat qu’ils jugent comme un “fiasco”. Cela signifie que des attentes avaient été placées sur ce dispositif, et qu’elles n’ont pas été satisfaites », marque Vincent Carlino.

L’occupation du bois Lejuc, un temps de bascule

Dans l’ouvrage dessiné d’Etienne Davodeau, Le Droit du sol, le militant Joël Domenjoud explique : « À l’été 2016, l’Andra vient défricher sept hectares du bois Lejuc en toute illégalité. Ils y érigent même un mur d’un kilomètre deux cents ! On porte plainte. On occupe une autre partie du bois [une des deux zones d’implantation du projet Cigéo en surface] ». Dans l’imaginaire médiatique et politique, le bois Lejuc devient alors le lieu d’une ZAD, une « zone à défendre », comme celle de Notre-Dame des Landes. C’est à partir de ce moment que le terme de ZAD à Bure a été employé par le gouvernement et les médias. « La situation a évolué en quatre ans, et avec elle les moyens que les acteurs emploient pour exprimer leur désaccord […] », relève l’universitaire.

Des mobilisations qui s’inscrivent dans l’air du temps puisque, pour Vincent Carlino, « l’occupation caractérise les mobilisations contemporaines ». L’occupation du bois Lejuc rend son accès difficile, même pour les médias. Ceux-ci sont critiqués par les opposants au projet, qui leur reprochent de ne pas « jouer le rôle de la contre-expertise » face aux discours de l’Andra. Les militants filmaient les interviews accordées aux journalistes et les diffusaient sur internet, notamment sur des plateformes d’« automédia » comme Indymédia. Ces militants sont équipés d’un appareil photo ou d’une caméra dans l’optique de documenter les péripéties des collectifs en lutte selon Laurent Thiong-Kay, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication. « La vidéo est conçue comme une arme d’autodéfense médiatique qui permet de symétriser les relations avec les journalistes », indique-t-il. 

Une opposition locale tenace 

En 2021, quatre communes – dont Bure – émettent des avis défavorables à Cigéo lors de l’étude d’impact, dans le cadre de la procédure de déclaration d’utilité publique du projet d’enfouissement. Alors que les villages s’opposent aux nouvelles étapes du projet, les militants cherchent à contrer l’emprise territoriale de l’Andra. Ils achètent par exemple en 2004 une ancienne ferme qui devient la Maison de la résistance, et des champs au sein de la « zone d’intérêt pour la reconnaissance approfondie » de l’Andra.

Pour Vincent Carlino, « le mode de contestation des citoyens-enquêteurs s’observe toujours aujourd’hui ». Il cite l’exemple du collectif les Monstres de Cigéo, qui identifie les sous traitants participants au projet afin que le grand public ait connaissance de leurs activités.

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