L’archéologue Juliette Brangé consacre sa thèse au camp de concentration du Struthof. Chaque jour, elle est confrontée à l’histoire tragique du lieu. Entre professionnalisme et éthique, elle s’adapte pour ne pas trop se laisser atteindre par les émotions.
Pour rejoindre la carrière, où les déportés du Struthof ont successivement extrait du granit rose avant de réparer des moteurs d’avion, il faut quitter le camp et marcher une dizaine de minutes. Là demeurent les emplacements en béton des anciens bâtiments où travaillaient les déportés. Il y a trois ans, l’archéologue Juliette Brangé y a posé ses outils. « Comme nous travaillons au milieu de la forêt, nous n’avons pas l’impression d’être dans un camp. » De plus, la minutie inhérente au métier occulte l’émotion : « En faisant les gestes techniques, j’en viens à oublier que je fouille un camp de concentration. »
Le Struthof est un terrain d’étude à l’histoire tragique. Il peut donc être difficile, émotionnellement, d’y travailler. Par respect pour les personnes qui y ont séjourné, Juliette Brangé fait attention à sa posture lorsqu’elle effectue des fouilles, pour éviter des gestes déplacés. Elle prend l’exemple de la baraque prison du camp, où son équipe travaillait « enfermée dans une cellule » : « Cela était difficile au début. Nous n’osions pas parler fort. »
En été, le site accueille des étudiant.es en archéologie. Si iels se sentent parfois à l’aise, Juliette Brangé souhaite que cela reste « calme et respectueux ». Elle ajoute, non sans sourire : « Par exemple, on leur dit de ne pas mettre la musique à fond. »
Une fois la journée terminée, elle tente de prendre du recul. Il y a deux cas de figure. Soit l’équipe séjourne dans le même gîte. « Si certain.es ont le cœur lourd, on peut en parler autour d’un repas. » Autrement, chacun.e rentre chez soi. « Quand cela arrive, j’essaie de ne pas reprendre mes notes le soir. Mieux vaut faire autre chose, pour couper. »
Pour l’heure, l’archéologue se concentre sur la carrière, le lieu de travail des déportés. Elle n’en est pas encore arrivée aux lieux de vie du camp. Elle redoute cette étape, qui multipliera les enjeux éthiques. Jusqu’où peut-elle aller dans les fouilles ? Elle mentionne la fosse, où les cendres des déportés étaient jetées, et sur laquelle est bâti un mémorial. « En tant que chercheuse, on se pose la question suivante : l’intérêt scientifique a-t-il plus d’importance que la morale ? » La fosse étant désormais un lieu de recueillement, elle s’interroge sur le jugement du public : « On craint que les visiteurs du camp ne comprennent pas la démarche s’ils nous voient fouiller dans la fosse. » Et pourtant… une des dernières découvertes y a justement été faite. C’est au cours d’un chantier de jardinage que la plaque d’un aviateur anglais a été retrouvée, ce qui a permis de retracer son parcours, jusqu’à son exécution au camp du Struthof.